dimanche 6 mars 2011

Quelle est belle la Justice ! (4)

Deuxième partie – Les dysfonctionnements de la justice (3)


5- Corruption des juges et des magistrats

5.1- Un magistrat piégé par les écoutes.
Il est soupçonné d'interventions en faveur d'hommes proches du « milieu ».
Depuis plusieurs mois, un dossier gênant encombre le bureau du juge d¹instruction lyonnais Bernard Schiffler. Il concerne un haut magistrat sur lequel pèsent, depuis plus de quatre ans, des soupçons de « corruption » fondés sur plusieurs séries d¹écoutes téléphoniques. Dans la magistrature, le secret a été bien gardé. Tout commence le 6 mars 1997. Ce jour-là, la juge Chapus-Bérard, qui instruit à Marseille une affaire de corruption, ordonne la mise sur écoute du téléphone d¹un prévenu, Edgar Benady, mis en examen pour trafic d¹influence et complicité d¹extorsion de signature.
Dès le 7 mars, surprise : Benady appelle un magistrat. Et non le moindre, puisqu¹il s¹agit de Richard Bouazis, avocat général près la cour d¹appel d’Aix-en-Provence, qui vient lui-même d¹être jugé pour un vol de mobilier appartenant au palais de justice de la ville. D¹ailleurs, Benady essaie de lui remonter le moral et le magistrat répond qu¹il ne sait pas s¹il va faire appel de sa propre condamnation. Le 17 mars, nouvelle conversation: Benady explique à Bouazis qu¹il a fait intervenir un ami «franc-maçon, haut placé et proche de Toubon», et que «tout devrait bien se passer». L¹avocat général voudrait échapper à une sanction disciplinaire trop sévère. Lui-même ne ménage d¹ailleurs pas ses efforts: il explique à Benady qu¹il est «en pourparlers» avec la chancellerie, et qu¹il a demandé à être muté à Paris, comme substitut général. Sinon, dit-il, «je balance tout et je fous le bordel». Deux ans plus tard, Richard Bouazis est nommé substitut du procureur général près la cour d¹appel de Paris.
Mystérieux bienfaiteur. En janvier 2000, l¹affaire rebondit après le meurtre, à Marseille, de Roger Spanu, l¹un des lieutenants du milieu marseillais des machines à sous. Dans le cadre de l¹enquête de la juge Marie-Claude Pena sur ce «règlement de comptes», plusieurs téléphones sont placés sur écoute. Notamment celui de Richard Laaban, fiché au grand banditisme. Une «relation très proche» de Spanu. Coïncidence: à la fin du mois d¹avril 2000, le même Laaban est jugé, à Marseille, dans une affaire de corruption. Le 26 avril à 21 heures, ignorant que son téléphone est toujours sur écoute, il appelle «un proche» pour lui faire part de ses craintes: il a peur, dans cette affaire, d¹être lourdement condamné. Ce «proche», c¹est Edgar Benady. Benady rassure Laaban, lui explique qu¹il peut compter sur l¹intervention d¹un mystérieux bienfaiteur : « S’ils te cassent les couilles, lui dit-il, s¹ils t¹arrêtent, alors là, moi, avec l’autre, on met le paquet, tu comprends ? »
Le 28 avril à 14 h 25, Laaban rappelle, toujours très inquiet. Benady le rassure encore: «De toute façon, explique-t-il, il m’a encore dit ce matin de ne pas nous inquiéter. C¹est pas la peine de s¹affoler.» Le même jour, à 16h23, Benady précise: « Tu montes (à Paris, NDLR) avec moi. On va monter voir l’autre. Tu vas jouer cartes sur table avec lui. On n¹est pas des ingrats. Alors tu montes avec moi, je t¹enferme dans le bureau avec lui, je me casse et tu discutes avec lui. Il a quand même ses relations. Il me l’a encore prouvé il n¹y a pas longtemps. Je lui ai déjà donné, moi. Tu lui répètes qu¹on n¹est pas des ingrats. Il a épousé votre cause! Il est obligé! Il a épousé votre cause!» Qui est cet interlocuteur? La suite des conversations enregistrées prouve qu¹il s¹agit d¹un magistrat : «Au début, quand il a eu ses problèmes, je lui ai filé un coup de main de folie», précise Benady. Le numéro de téléphone parisien de ce mystérieux correspondant est rapidement identifié par les policiers qui écoutent Benady et Laaban: c¹est celui de Richard Bouazis.
Le 28 juin 2000, le commissaire principal Francis Choukroun, alors chef de la section criminelle du SRPJ de Marseille, transmet à ses supérieurs, sur cette affaire, une note de synthèse intitulée: «Révélations d¹informations susceptibles de caractériser des faits de corruption.» «Dans un premier temps, explique-t-il, Laaban, qui vient de comparaître, s¹inquiète du réquisitoire du procureur à son encontre. Benady cherche à le rassurer en évoquant la possibilité de faire intervenir un tiers. Lors d¹une conversation enregistrée le lendemain, Benady évoque avec Laaban la perspective favorable de l¹intervention de ce tiers. »
« Il a épousé leur cause ». Les deux hommes, poursuit le commissaire Choukroun, «sont en contact téléphonique avec un correspondant vraisemblablement parisien. Il sera établi début juin 2000 qu¹Edgar Benady est en contact avec le nommé Richard Bouazis, substitut général à Paris. Laaban est déjà entré en contact avec lui par l¹intermédiaire de Benady à l¹occasion d¹événements antérieurs. Cette personne a épousé leur cause.» Le commissaire en déduit que cette personne serait susceptible d¹intervenir en leur faveur. Il envisage même que ces interventions pourraient avoir donné lieu à une contrepartie. Puis le commissaire ajoute encore: «Dans le but de démontrer la connivence qui l¹unit à cette personne, Benady fait allusion à une précédente affaire au cours de laquelle des écoutes téléphoniques captées entre eux (Edgar Benady et Richard Bouazis) étaient susceptibles de les envoyer en prison. Il précise que l¹intervention d¹une tierce personne leur avait permis de se tirer d¹affaire.» Information judiciaire. En juillet 2000, sur la foi de ce rapport du commissaire Choukroun, une information judiciaire sur cette affaire dans l¹affaire est confiée, à Marseille, à la juge Marie-Claude Pena. Puis, en septembre, le dossier est dépaysé vers Lyon, où il est confié au juge Bernard Schiffler.
Depuis: rien. Richard Bouazis n¹a pas été interrogé sur ses possibles relations avec le «milieu». «Sans doute, explique-t-il, parce que je ne suis pour rien dans toutes ces affaires.» Il poursuit: «J¹ai été blanchi par le Conseil supérieur de la magistrature des accusations de vol portées contre moi par des gens qui n¹avaient pas envie que je sois nommé procureur de la République à Nice. A l¹époque, c¹est vrai, j¹ai pu menacer de foutre le bordel ». Mais c¹était par forfanterie. Vous savez, quand on vit ce que j¹ai vécu à ce moment-là, on est parfois excessif. J¹ai d¹ailleurs demandé à être muté à Paris pour pouvoir me fondre dans un certain anonymat: j¹en avais assez des petites villes de province où tout le monde a les yeux braqués sur vous.»
Et Benady ? « Il m’a été présenté par les Gipsy Kings, en Arles, il y a quelques années. Il m¹a soutenu à un moment où j¹étais dans une vraie détresse morale, intellectuelle, après ma condamnation. Dans ces moments-là, vous vous raccrochez à n¹importe qui. Je ne peux pas nier qu¹il m¹ait appelé: c¹est quelqu¹un de particulièrement envahissant. Je n¹ai rien fait pour l¹en dissuader, et je le regrette. J¹ai imprudemment continué à le prendre au téléphone. Mais je ne suis jamais intervenu en sa faveur: dans ma situation, il aurait fallu que je sois fou. Et bien évidemment, il ne m¹a jamais rien donné.».

5.2- Un juge mis en examen pour corruption passive à Béthune
Ce magistrat, dénoncé par un corbeau, avait déjà été sanctionné en 1997 pour des faits similaires par le Conseil supérieur de la magistrature, qui avait ordonné sa rétrogradation et sa nomination à Béthune.
Le juge Pierre Pichoff a-t-il reçu des pots-de-vin ? L'enquête devra le déterminer. En attendant, il a été mis en examen jeudi à Lille pour corruption passive, trafic d'influence et escroquerie dans l'exercice de ses fonctions. Selon une source proche du dossier, le magistrat, qui présidait des audiences correctionnelles à Béthune, pourrait avoir perçu de l'argent pour influencer le cours de certaines décisions.
Pierre Pichoff, 58 ans, a été placé sous mandat de dépôt provisoire, en attendant sa comparution lundi devant le juge des libertés et de la détention (JLD). Il a demandé un délai pour préparer sa défense. Devant le juge d'instruction, il n'a pas souhaité s'exprimer. Il devrait faire l'objet d'une «suspension provisoire» de la magistrature, avant que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), saisi par la Chancellerie, ne statue sur son cas.
«L'affaire est grave», explique au figaro.fr le procureur de Lille, Frédéric Fèvre, qui précise qu'«on n'est pas du tout dans un cadre politique», sans vouloir donner plus de précisions. Tout commence au printemps 2010, lorsque la police du Pas-de-Calais reçoit un courrier anonyme qui dénonce «un magistrat de la juridiction de Béthune ayant un comportement peu déontologique», rapporte le procureur. Quelques mois plus tard, à l'automne, le corbeau envoie une nouvelle lettre. Une enquête est lancée et les policiers remontent la piste du juge.
Le juge avait déjà été sanctionné
Dans le cadre de cette affaire, deux autres personnes ont également été déférées en vue de leur mise en examen. «Des personnes en relation avec le juge», explique le procureur. L'une d'elles serait un commerçant, déjà mis en examen dans l'affaire de fausses factures présumées impliquant l'ancien maire PS d'Hénin-Beaumont, Gérard Dalongeville. Une affaire qui, selon le procureur, n'aurait pas de lien avec Pierre Pichoff. Le parquet a requis un mandat de dépôt pour l'un et un placement sous contrôle judiciaire pour l'autre.
Deux juges d'instruction de la brigate financière ont été nommés pour enquêter dans le cadre de l'information judiciaire ouverte par le parquet de Lille. Pierre Pichoff devrait faire l'objet d'une «suspension provisoire» de la magistrature, avant que le CSM, saisi par la Chancellerie, ne statue sur son cas. S'il est renvoyé devant le tribunal correctionnel, il risque une peine maximale de 10 ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende.
Pierre Pichoff, 58 ans, préside depuis 1997 des audiences correctionnelles au TGI de Béthune. Un poste qu'il a obtenu après avoir été sanctionné par le CSM, qui avait décidé de le rétrograder et de le nommer à Béthune alors qu'il était vice-président à Troyes (de 1990 à 1997). Il aurait à l'époque bénéficié de prêts de voitures auprès d'un garagiste, précise une source proche du dossier. L'affaire en était restée à l'état de procédure disciplinaire.

5.3- Une juge convoquée dans l’affaire de corruption de magistrats d’Annecy
Après des années de souffrance, l’enquête pour corruption présumée de magistrats au tribunal d’Annnecy va enfin entrer dans une phase active. Mme Véronique Nève de Mévergnies ancienne juge à Annecy, aujourd’hui conseillère à la cour d’appel de Douai, est convoquée le jeudi 11 décembre, par Jean-Pierre Berthet et Thierry Soulard deux juges d’instruction de Lyon en charge du dossier. Elle devra s’expliquer sur des cadeaux et/où chèques qu’elle aurait touchés d’une administrateur judiciaire. A l’issue de ce premier interrogatoire les magistrats instructeurs décideront de la mise en examen de leur collègue ou de son placement sous le statut moins désobligeant de « témoin assisté ».
L’information judiciaire ouverte pour « corruption, mise en danger d'autrui, complicité de publication de faux bilan, escroquerie, faux, obstacle à la manifestation de la vérité » devrait connaître d’autres rebondissements. Car, il y a quelques jours, les deux juges d’instruction se sont déplacés à la Chancellerie, place Vendôme, pour se faire communiquer une copie du rapport de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), datant de 2002 et portant sur les mêmes faits. Selon ce document une dizaine d’autres magistrats d’Annecy auraient également reçu des cadeaux. Ironie de l’histoire, deux d’entre eux exercent actuellement à Lyon…

A- À l'origine de l'affaire, un chef d'entreprise
L’affaire révélée par Marianne (voir notre édition du 6 septembre, numéro 594) trouve son origine dans le combat farouche mené par Fernand Vogne, un chef d’entreprise, contre les dévoiements de la justice locale et notamment contre Robert Meynet, un des principaux administrateurs judiciaires de la région.
En 2001, Fernand Vogne découvre ainsi que des chèques ont été signés par des administrateurs judiciaires au profit de magistrats et notamment du juge commissaire, magistrat professionnel chargé du règlement des procédures commerciales. Il obtient même copie des chèques en question. Après de multiples péripéties le parquet d’Annecy finit par ouvrir, en 2003, une enquête préliminaire. Les policiers établissent alors qu’une quinzaine de chèques, la plupart signés par Me Robert Meynet entre 1995 et 2002 pour un montant global de plusieurs dizaines de milliers de francs, ont été établis au profit de magistrats. De surcroît, parmi ces « cadeaux », ils découvrent qu’en 1995, le voyage de noces en Israël de la juge commissaire Melle Lamoine, épouse Nève de Mervergnies, aurait entièrement été réglé par l’administrateur judiciaire. Malgré cela, le parquet d’Annecy refuse de pousser plus avant les investigations…

Mais Fernand Vogne ne renonce pas. Dans son interminable combat il obtient la saisine de la Cour de cassation. Et au mois d’août dernier, la chambre criminelle de la juridiction suprême décide de l’ouverture d’une information judiciaire confiée à un juge de la cour d’appel de Lyon. Officiellement engagée le 2 septembre, l’enquête a toutefois mis encore du temps avant de démarrer, les deux juges d’instruction attendant plus de trois mois pour procéder au premier interrogatoire…

B- Un voyage de noces offert par un administrateur judiciaire
Interrogé par Marianne, à la fin du mois d’août Mme Nève de Mévergnies n’avait pas contesté les faits mais s’était expliquée en ces termes : « Je sais qu’une fois de plus cette histoire va donner une image déplorable de la Justice. Et je me sens terriblement coupable. Pourtant je n’ai strictement rien à me reprocher… » Au sujet des chèques, elle nous avait déclaré qu’elle les recevait sur son compte mais « pas à titre personnel. Ils étaient destinés à financer les cadeaux de départ » de ses collègues. Enfin, concernant son voyage de noces, elle affirmait que Robert Meynet, avait insisté pour lui offrir « un voyage en terre sainte ». « J’ai fini par accepter malgré mes réticences. Aujourd’hui je regrette terriblement. Je comprends bien que ces cadeaux sont totalement disproportionnés et je comprends aussi parfaitement que cela donne une très mauvaise image de la justice. Mais je garantis que ces cadeaux n’ont donné lieu à aucun dysfonctionnement, aucune contrepartie. »
Egalement interrogé par Marianne fin août, Me Robert Meynet, après avoir prétendu « tout ignorer », nous avait indiqué que « ces cadeaux avaient été effectués dans le cadre d’un GIE (groupement d’intérêt économique) réunissant six administrateurs, que ceux-ci étaient tous parfaitement au courant. Sauf dans un cas, ils correspondent à des cadeaux pour des départs de magistrats. » Depuis,  l’administrateur judiciaire se refuse à toute déclaration avant d’être entendu par les juges. Il ne devrait plus avoir beaucoup à attendre.

5.4- Un magistrat de Montpellier en prison pour corruption
22/08/2008
Un substitut du procureur aurait divulgué à un de ses amis dentiste des informations concernant une enquête pour escroquerie dont il faisait l'objet.
L'affaire est exceptionnelle : un substitut du procureur de la République de Montpellier est derrière les barreaux de la maison d'arrêt de Seysses, près de Toulouse, depuis le 14 août, a révélé jeudi une source judiciaire, confirmée par son avocat.
Le magistrat est soupçonné d'avoir fourni des informations à un de ses amis, dentiste à Montpellier, concernant une enquête dont ce dernier faisait l'objet, a indiqué l'avocat du magistrat, Me Cyril Malgras, confirmant une information publiée par le quotidien régional Midi Libre. Le magistrat a été mis en examen pour «corruption» et «violation du secret de l'instruction».
L'histoire remonte à plusieurs semaines lorsque les policiers de la brigade financière commencent à s'intéresser de près aux pratiques d'un dentiste de Montpellier. Ils soupçonnent ce praticien de 55 ans d'avoir escroqué la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault. L'arnaque reposait sur la facturation d'actes qu'il n'aurait pas réalisés, avec un préjudice pour la CPAM qui se chiffrerait à plusieurs centaines de milliers d'euros.
Arrêté, placé en garde à vue puis en détention, le chirugien-dentiste présumé escroc se met à table et raconte avoir versé à l'un des ses amis, substitut du procureur de Montpellier, une somme d'argent en échange d'informations sur l'enquête le concernant.
«Il ne s'agit pas du scandale du siècle»
Le substitut et le dentiste «s'étaient liés d'amitié», confirme Me Malgras, conseiller du magistrat. «Le dentiste a demandé des informations sur l'enquête dont il était l'objet, mon client les a recherchées et les lui a transmises». L'avocat souligne que son client rencontrait de graves «problèmes familiaux et financiers». Un situation qui l'aurait conduit à «solliciter une aide financière de la part du dentiste», dont le montant versé est encore inconnu.
La garde des Sceaux Rachida Dati «a immédiatement saisi» l'inspection générale des services judiciaires pour engager une enquête administrative, a affirmé le porte-parole du ministère de la Justice, Guillaume Didier. Le Conseil supérieur de la magistrature a aussi été saisi en vue d'une interdiction temporaire d'exercer pour le magistrat concerné. «Il ne s'agit pas d'une sanction administrative, mais d'une mesure de protection de la justice», a affirmé Guillaume Didier.
L'avocat a fait appel du placement en détention provisoire du magistrat, estimant que celui-ci ne se justifiait pas. Interrogé par le Midi Libre l'avocat du substitut souligne encore : «Il ne s'agit pas du scandale du siècle. Ce n'est pas un dossier d'envergure. Et les informations données par mon client n'ont pas menacé l'enquête». L'affaire a été délocalisée au pôle de l'instruction de Paris.