dimanche 6 mars 2011

Quelle est belle la Justice ! (1)

Alain COUTTE
16 février 2011


« Quelle est "belle et juste", la Justice en France ! »
Alain COUTTE – 16 février 2011



À l’heure où les fonctionnaires du ministère de la justice sont en grève du fait de leur mise en cause dans l’affaire « Laetitia de Pornic » qui a ému la France entière, regardons de plus près les dessous - pas très reluisants - des robes des juges et des magistrats.

Voici une compilation - non exhaustive -, selon le plan ci-dessous :

Première partie – Les Français, la justice et le juge d’instruction
1- Sondages
2- Le juge d’instruction

Deuxième partie – Les dysfonctionnements de la justice
1- L’affaire Outreau
2- La justice protège-t-elle les pédophiles ?
3- Juges et magistrats pédophiles
4- Justice : deux poids, deux mesures
5- Corruption des juges et des magistrats
6- Des juges et des magistrats pas très « clean »
7- Les cas pathologiques
8- Des juges et des magistrats dépravés sexuels
9- Éthique des magistrats


Première partie – Les Français, la justice et le juge d’instruction

1- Deux tiers des Français ont peur de la justice

A- 65% DES FRANÇAIS AFFIRMENT AVOIR PEUR DE LA JUSTICE !
 (Sondage CSA du 05 février 2006 pour Le Parisien/Aujourd’hui en France)

B- Selon une étude réalisés par Ipsos et Lamy les 27 et 28 juin 2008 :
53% des Français ont une image négative de la Justice,
59% estiment que cette image s’est détériorée depuis 10 ans.
Près d’un Français sur cinq (18%) affirme même en avoir une très mauvaise image.
Seuls 44% indiquent qu’ils ont une bonne image de l’institution.
Plus grave, 59% d’entre eux affirment que cette image s’est détériorée ces dernières années, 16% d’entre eux affirmant même qu’elle s’est « beaucoup détériorée ».
Les principaux griefs faits à la Justice par les Français : une justice inégalitaire et inéquitable.
Deux tiers des Français (64%) contestent le fait que tous les citoyens sont bien défendus devant la Justice, même s’ils manquent de moyens financiers, et une majorité d’entre (52%) l’accuse même d’être parfois arbitraire et de ne pas rendre des décisions équitables et justes. Enfin, la justice est aussi perçue comme potentiellement dangereuse par une minorité non négligeable de Français (45%).

2- Le juge d’instruction
Le juge d'instruction a pour mission de faire « tout acte utile à la manifestation de la vérité ». Concrètement, sa mission est donc de mener une enquête, qui pourra déboucher sur un jugement. En ce cas, le jugement sera pris sur la base de l'enquête menée par le juge.
Afin de mener à bien sa mission, le juge d’instruction dispose de pouvoirs d’enquête très élargis.
Depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 le juge d'instruction peut demander au juge des libertés et de la détention (JLD) de placer un suspect en détention provisoire.

Saisine
Un juge ne décide pas de faire une enquête. Il est saisi par le parquet ou par une victime qui se constitue partie civile. Il ne peut enquêter que sur les faits dont il est saisi. Il y a, à cela, une double justification : d'une part, en France, c'est le procureur de la République qui a la maîtrise des enquêtes et des poursuites, le juge d'instruction n'intervenant que par exception. Le juge disposant de grands pouvoirs coercitifs il pourrait être dangereux pour la liberté qu'il puisse les mettre en œuvre à sa guise à tout instant. A contrario, dans certains cas comme l'absence de victime directe, ce système peut aussi empêcher des enquêtes totalement indépendantes d'être initiées, puisqu'alors seul le parquet peut être le déclencheur. Or, ce dernier est soumis directement à l'autorité du pouvoir en place, qui peut avoir des intérêts à ce qu'une enquête approfondie et sur laquelle il n'aurait pas de contrôle, ne soit déclenchée.
En résumé, le juge d'instruction n'enquête que sur les faits pour lesquels le parquet lui demande d'enquêter, ou si des victimes existent et se constituent partie civile.

Indépendance
En contrepartie, le juge est libre d'enquêter comme il l'entend. Personne ne peut lui donner d'ordres et il est libre de mener les investigations qu'il juge utiles. Cette indépendance n'est pas sans contrôle : il y a plusieurs règles applicables. D'abord, « le juge instruit à charge et à décharge » (art. 81, al. 1 du code de procédure pénale).
Note contradictoire : cela, c’est la théorie ; dans les faits, aussi bien la police que les juges « instruisent à charge ».
Le juge doit également instruire dans un délai raisonnable (art. 175-2), ce qui suppose souvent de faire des choix et d'écarter certaines investigations. Les parties (mise en examen, partie civile), peuvent demander au juge qu'il procède à des investigations. Il peut refuser mais doit justifier par écrit sa décision, laquelle est susceptible d'appel.

Pouvoirs d’enquête
Le juge d'instruction est l'enquêteur qui dispose du plus de pouvoirs : il peut procéder à l'audition de toute personne, faire comparaître les témoins par la force publique (généralement : police nationale et gendarmerie), délivrer des mandats, entendre les parties civiles et les mis en examen, désigner des experts, procéder à des perquisitions et des saisies, ordonner des écoutes téléphoniques, des sonorisations... Concrètement, cependant, le juge fait rarement tout cela et il délègue ses pouvoirs aux officiers de police judiciaire, par le mécanisme de la commission rogatoire.
Note contradictoire : si certains policiers font correctement leur travail, d’autres, en revanche, de part leur « très haut niveau intellectuel », ne voient pas plus loin que le bout de leur nez dans leurs enquêtes.
Il est en revanche le seul à désigner des experts (parce qu'il ne peut pas déléguer ce pouvoir), et à entendre le mis en examen (parce que les personnes mises en examen ne peuvent être entendues que par un magistrat). L'essentiel du travail du juge d'instruction consiste à diriger l'enquête (par téléphone ou en rencontrant les enquêteurs, en lançant des commissions rogatoires, des expertises...) et à interroger les mis en examen, ce qui en pratique prend le plus de temps.

Pouvoirs judiciaires
Le juge d'instruction est aussi un juge. Il peut donc prononcer des mesures qui ont un caractère judiciaire, que ne peut donc prononcer un enquêteur. Le juge peut mettre en examen une personne, c'est-à-dire lui notifier qu'il existe contre elle un certain nombre d'éléments qui laissent à penser qu'elle a commis une infraction. Le terme inculpé a été remplacé en 1994 par l'expression « mis en examen ». Le mis en examen a un certain nombre de droits, mais surtout il peut peser contre lui des obligations. Le juge d'instruction peut le placer sous contrôle judiciaire, c'est-à-dire lui intimer de respecter certaines obligations, comme se soigner ou encore ne pas rencontrer telle personne. Il peut également saisir un autre juge, le juge des libertés et de la détention, pour placer une personne en détention provisoire.
Note contradictoire : la détention provisoire est aussi banalisée et systématique que les gardes à vue. Ne nous étonnons pas ensuite que les prisons soient pleines à craquer avec deux, voire trois détenus par cellule !
Depuis le 1er janvier 2001, le juge d'instruction ne peut plus décider seul de placer une personne en prison. Un autre juge, le juge des libertés et de la détention, intervient également, qui prend, in fine, la décision.
Note contradictoire : « corporatisme de la robe » oblige, un(e) JLD ne contredira jamais son/sa collègue…
Le juge d'instruction peut, par contre, toujours libérer quelqu'un qui est en détention provisoire.
Note contradictoire : les « mauvaises langues » disent que certains juges sont « sensibles » à recevoir des « dons en espèces ».
Enfin, à l'issue de l'enquête, le juge décide s'il y a des charges suffisantes pour renvoyer les mis en examen devant un tribunal ou une cour d'assises. Le juge ne se prononce donc pas sur la culpabilité, mais simplement sur le caractère suffisant des charges. S'il n'y a pas assez de charges, le juge d'instruction rend un non-lieu. Il arrive aussi - même le plus souvent - que l'on ne trouve pas le coupable. Si de nouveaux éléments à charge apparaissent, alors qu'une ordonnance de non-lieu pour charges insuffisantes a été prise, le procureur de la République peut demander au juge d'instruire à nouveau l'affaire. Si le non-lieu a été décidé suite à une cause légale (les faits ne constituent pas une infraction par exemple) l'ordonnance est irrévocable.

Caractère contradictoire de l’instruction
Par principe, l'instruction n'est pas contradictoire. Elle est en partie secrète. Elle a été conçue sur un modèle strictement inquisitorial. Progressivement, elle a été modifiée pour devenir plus contradictoire, c'est-à-dire pour ouvrir la porte aux débats pendant la phase d'enquête.
Note contradictoire : entre la théorie et la pratique il y a un gouffre !!!
En premier lieu, les inculpés ont eu le droit à un avocat en 1896, qui est présent pendant les interrogatoires de son client et a accès au dossier. Récemment, les avocats ont eu le droit de faire des demandes d'investigations. Certaines décisions du juge d'instruction sont susceptibles d'appel : refus de procéder à des investigations, décisions de renvoi ou de non-lieu... L'appel est porté devant une formation spéciale de la cour d'appel, la Chambre de l'instruction.
La mission du juge n'est donc pas de dire la vérité, mais il instruit à charge et à décharge (article 81 du code de procédure pénale). Il doit rassembler des preuves afin de déterminer s'il existe des charges suffisantes contre un mis en examen. S'il estime qu'il existe suffisamment de preuves, il rend une ordonnance de renvoi devant le Tribunal Correctionnel ou une ordonnance de mise en accusation (pour saisir la cour d'assises). À défaut de charges suffisantes, il rend une ordonnance de non-lieu, qui met fin à la procédure.
Il joue le rôle de filtre, au même titre que le parquet, pour éviter de saisir le tribunal d'affaires « injugeables ». Le juge dispose de moyens d'enquêtes importants, juridiquement tout au moins, qui justifient qu'il soit saisi pour les affaires complexes ou graves.
Par rapport aux enquêteurs de police ou de gendarmerie, il présente plusieurs avantages : il est généralement plus qualifié, et connaît mieux la procédure, il sait aussi comment raisonnent les autres magistrats du siège et peut donc réunir un dossier où ils pourront puiser les réponses à leurs questions. Par ailleurs, le juge d'instruction est un juge indépendant, ce qui empêche que des enquêtes ne soient ralenties par des pressions extérieures. En effet, le juge d'instruction est indépendant de l'État depuis la séparation des pouvoirs. Dans un souci d'indépendance et d'impartialité, les fonctions entre le procureur de la République et le juge d'instruction ont été bien définies et séparées.

En réalité, le juge d’instruction détient d’immenses pouvoirs, il dispose de la liberté, de l’honneur, peut-être de la vie de ceux auxquels il s’intéresse. Il fait ce qu’il veut du Droit. Le pouvoir de ce juge semble sans limite, seul souverain parmi les trois pouvoirs que distinguait le grand principe de séparation.
Voici ce juge soumis à toutes les maladies de son temps, mais il ne reçoit pas d’ordre, il ne rend pas compte. Parce qu’il est indépendant, il est irresponsable. Ne serait-ce pas cela le gouvernement du juge, le plus redoutable des gouvernements, celui d’un gouvernant recruté par concours, privé de toute légitimité venue de l’élection, un gouvernant qui interprète, ou invente la loi, un gouvernant protégé par les privilèges de son statut, qui n’a rien à redouter, si ce n’est au soir de sa vie le confort mélancolique de la retraite…

Peut-on rêver :
D’un juge dont l’indépendance ne serait pas faite que d’un statut protégé, mais d’une vraie méfiance à l’égard de soi, de ses certitudes, de ses préjugés, de ses entêtements, de sa puissance, de son image ?
D’un juge qui revendiquerait sa responsabilité légale, celle qui pourrait naître non bien sûr de ses décisions, mais de ses fautes professionnelles, parce qu’il saurait que le temps est passé des statuts privilégiés et que l’indépendance n’a pas pour corollaire l’irresponsabilité ?
D’un juge qui saurait que le travail accompli, la compétence, le dévouement sont pris au sérieux, et qu’il est mieux de travailler que de ne rien faire pour mériter la reconnaissance d’une carrière ? D’un juge que son système de valeurs – éthique ou morale ou devoir – inciterait en toute occasion à respecter le Droit, l’homme et sa dignité, et sa liberté, et son honneur ?
D’un juge dont le statut économique et social serait mis à la mesure de l’importance de ses missions, et qui disposerait, par sa formation initiale et continue, des instruments de l’intelligence et de la réflexion, ne cessant d’accroître sa force intellectuelle ?
D’un juge enfin redressé, débarrassé des tâches secondaires dont les lois n’ont cessé de l’accabler, mis en mesure de rendre la Justice, de maintenir l’état de Droit, et aussi de protéger vraiment les libertés ?

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